lundi 23 novembre 2015

SCC9/1 : Les métamorphoses successives du système sorcier au Luabongo et son dernier avatar, une pseudo-démocratie (post-démocratie ou "dictature constitutionnelle") dans laquelle le véritable pouvoir appartient aux sorciers, aux "services" et aux crapuleux



Le peuple du Luabongo  viendra-t-il à bout du dernier avatar d’un système sorcier, dépourvu de toute légitimité populaire, qui l’opprime depuis si longtemps… depuis … depuis… depuis la fin du XIXe siècle et l’appropriation privée du pays dans ses frontières actuelles par Léopold Deux et ses bandes armées de mercenaires, de trafiquants et d’enfants-soldats ?

Depuis cette époque, en effet, mis à part une courte parenthèse en 1960, tous les dirigeant du Luabongo, sous tous les régimes, ont été des « sorciers » en ce sens qu’ils ont tous accédé au pouvoir sans avoir été investis par le peuple de la mission de gérer ses intérêts collectifs et qu’ils s’y sont tous accrochés obstinément et qu’ils ont tous géré le pays au mieux des intérêts, non pas de la population mais de « colons » ou de "néo-colons" de différents genres, de leurs agents et de leurs associés et collaborateurs locaux : trafiquants de main d’oeuvre, d’ivoire et de bois tropicaux, collecteurs et exportateurs de caoutchouc naturel, chercheurs d’or et d’autres minerais, commerçants de traite, planteurs  et missionnaires, actionnaires et dirigeants d’entreprises d’extraction minière et, à présent, nouvelles bourgeoisies « compradores » s'autoproclamant  «nationales »  ou  « émergentes ».
Ces régimes autoritaires peuvent en effet, de façon sommaire et successivement,  être caractérisés de la façon suivante :

1.  Prise de possession  et occupation violente des empires, royaumes, chefferies et autres établissements  humains situés dans le bassin du Luabongo, par les bandes armées léopoldiennes composées de mercenaires originaires de toute l’Europe (et de jeunes gens, de captifs et d’enfants-soldats embrigadés ou enrôlés de force … qui constitueront la tristement célèbre « Force publique », une force de police devant servir à intimider la population et à réprimer les mouvements de contestation populaire), appropriation autoritaire du sol et du sous-sol par le prétendu nouvel Etat (sur ce plan, la loi Bakajika n’a donc rien inventé et s’inscrit même directement dans la tradition léopoldienne en ce qu'elle confirme l'expropriation des terres, mines, lacs, rivières et forêts exploitées communautairement depuis toujours par les collectivités locales qui en étaient propriétaires) et mise en œuvre d’un système de prédation des ressources naturelles via l’instauration d’un « bagne collectif » dans lequel la population, « encadrée » très étroitement par l’administration des « districts »,  les « compagnies concessionnaires » et les sociétés missionnaires, est mise au travail forcé sur ses propres terres au bénéfice des envahisseurs ;

2.   Transformation d’un Etat prétendument indépendant en une « colonie », quadrillage du pays et encadrement méthodique de la population par une administration para-militaire dite territoriale disposant, comme sous le régime léopoldien, du concours actif de la Force publique et des missions chrétiennes ; génocide culturel et déstructuration systématique des sociétés traditionnelles, de leurs institutions, de leurs systèmes de croyances, de production, de consommation, d’éducation, de santé, de justice, de citoyenneté et de solidarité : « indigénisation », « christianisation » et « caporalisation » (ainsi peut être caractérisé, sommairement, le paternalisme colonial, dit « sévère mais bienveillant » des Noko) et « prolétarisation » d’une population dépossédée de ses terres et de ses valeurs, mise sous tutelle et réduite à une condition servile (obligation de vivre et de travailler dans une circonscription déterminée et d’y fournir des prestations au bénéfice de l’occupant); on passe peu à peu du pillage primaire des ressources naturelles à une « mise en exploitation» plus rationnelle, renouvelable et plus rentable (dans l’optique des opérateurs économiques coloniaux évidemment ! ainsi pourrait-on parler de « colonialisme scientifique » ou de « colonialisme durable » !), on ne coupe plus les mains, on ne fusille (presque) plus, on chicote, on impose des cultures obligatoires et des « travaux d’ordre éducatif », on entreprend même de former quelques « clercs » et « agents locaux», des moniteurs et des infirmiers, des  contremaîtres et des sous-officiers, des machinistes et des mécaniciens nécessaires au développement de l’entreprise coloniale et au renforcement de ses capacités de prédation…

3.  Renversement de la première République et de ses institutions élues par un coup d’Etat militaire inspiré par l’étranger dans le cadre de la guerre froide opposant l’Est et l’Ouest et instauration d’un régime répondant globalement aux intérêts géopolitiques (économiques, sécuritaires, de défense, etc) occidentaux, un régime dont la politique de promotion des valeurs culturelles autochtones et de « recours à l’authenticité » en réponse au "génocide culturel colonial" (politique ayant de toute évidence contribué à développer, dans tout le pays, un sentiment d'appartenance nationale qui a, jusqu'à présent, permis à la population du Luabongo de résister victorieusement aux nombreuses tentatives de démembrement opérées depuis l'extérieur... mais ayant aussi "folklorisé" ou contrefait de façon parfois caricaturale certaines analyses et conclusions pertinentes formulées par Auguste Mabika Kalanda dans son ouvrage fondateur « La remise en question, base de la décolonisation mentale ») cachait mal l’absolutisme quasi-monarchique et la sujétion de tous à la pensée unique d’un « guide clairvoyant » (lequel était d'ailleurs, quelquefois, très peu "inspiré" en matière économique si l'on considère les ratés relatifs du barrage d'Inga et de la ligne à haute tension Inga-Shaba, les incohérences de la "radicalisation" ayant eu pour effet pervers de détruire une classe d'entrepreneurs nationaux qui commençait à émerger et qu'une "zaïrianisation" bien conduite aurait permis de conforter, la réalisation de projets d'envergure de type "éléphants blancs", plus coûteux que productifs, tels que la sidérurgie de Maluku ou le Domaine agro-industriel de la N'Sele, l'incapacité, depuis les années 1975, à réagir de façon dynamique à l'évolution de l'environnement économique et politique international, qu'il s'agisse de la fin de la guerre du Vietnam et de la chute du cours du cuivre ou, plus tard, de la chute du Mur de Berlin et de la fin de la guerre froide) qui s’était auto-promu au grade de « Maréchal »; encadrement politico-policier d’une population enrégimentée  par un Parti-Etat (le MPR) dont l’implantation était calquée sur le système d’administration colonial…

4.  Appropriation du pouvoir par un chef de guerre (par auto-proclamation et avec le soutien d’armées et d’intérêts miniers étrangers) et, après son assassinat, désignation d’un « héritier » par un petit groupe de personnes non-habilitées (une cooptation familiale suggérée par certains représentants du Tout-Puissant Marché) suivi du maintien au pouvoir de l’héritier ainsi désigné par des élections bidouillées ; instauration d’une pseudo-démocratie dans laquelle le véritable pouvoir appartient, comme sous les régimes précédents, aux sorciers, aux "services" et aux crapuleux qui l'ont confisqué à leur profit : aussitôt après l'entrée en vigueur d'une nouvelle constitution répondant à un modèle démocratique ordinaire, le Luabongo est, en effet, très rapidement devenu une "post-démocratie" ou une "dictature constitutionnelle" faisant fi des règles et principes fixés dans la Constitution et restreignant considérablement dans les faits l'application des règles démocratiques, une démocratie "à la mode de chez nous" sous prétexte de "souveraineté nationale", une démocratie dénaturée se contentant de satisfaire aux conditions de forme minimales exigées par la communauté internationale (des Assemblées-théâtres, des sessions régulières de spectacle parlementaire, une opposition croupion… parfois nzing-nzong ou chauve-souris et souvent perdiémiste); installation de cours et de tribunaux aux ordres; inféodation de l'armée et de la police; incapacité ou manque de volonté sérieuse de mettre définitivement fin à des rébellions et des guerres incessantes attisées par certains pays voisins, des intérêts miniers étrangers, des jeux politiques internes... et les "services"; transgressions constantes de l'Etat de droit et des droit de l'homme (massacres, viols, arrestations et détentions arbitraires) ; manipulation, désinformation  et instrumentalisation des missions diplomatiques et onusiennes au Luabongo; presse orientée ou placée sous surveillance des "services" (intimidation, incercération ou assassinat de journalistes et mise au pas des organes de presse jugés trop indépendants); interdiction des manifestations de l'opposition et de nombreuses manifestations de mécontentement populaire  (paysans, fonctionnaires et employés, travailleurs, mineurs et creuseurs artisanaux, sans emploi, étudiants, habitants d'u quartier dévasté par la pluie) et marches de protestation citoyennes (contre les exactions des "forces de l'ordre" et  l'insécurité, contre les violences faites aux femmes, contre la pollution des champs et des rivières, pour l'accès à l'eau potable et à l'électricité, pour l'enlèvement des immondices, etc); répression incessante, par des « services » omnipotents et omniprésents, des lanceurs d’alerte et sentinelles de la citoyenneté, des défenseurs des droits de l’homme et de l’Etat de droit et des changeurs de monde et passeurs d’idées nouvelles auxquels il est reproché de faire usage de leur liberté d’expression… et qui sont généralement poursuivis, par les « services » (dont les « scénaristes » manquent  curieusement d’inspiration), de "complot insurrectionnel" visant à attenter à la vie du chef de l’Etat, avec, de préférence, découverte d'armes de guerre (on trouve toujours des armes quelque part, il suffit de les y placer et  les mêmes armes peuvent être utilisées plusieurs fois, dans plusieurs "complots"), de couteaux de cuisine et de tessons de bouteilles ou, à défaut et en cas d'urgence, de comportements sexuels inappropriés dans un hôtel de la place; refus obstiné de l'alternance démocratique selon les règles fixées par la Constitution ;

Mis à part le Premier ministre élu Patrice-Emery Lumumba et son gouvernement légitime (1960), tous les dirigeants du Luabongo ont donc accédé au pouvoir et s’y sont maintenus par la force et l’imposture… et aucun d’entre eux ne l’a jamais quitté de son plein gré.
Les causes des différents changement opérés à la tête du pays ont, en effet, été successivement :
- une cession résultant de pressions exercées par l’opinion publique internationale et par des banquiers, soucieux de productivité et désireux de rentabiliser de façon optimale leurs « investissements »,
- le combat politique mené par la population du Luabongo en vue de sa libération,
- le largage et le renversement d’un dictateur dont le profil ne répondait plus à l’évolution du contexte géopolitique et son remplacement par un chef de guerre commandité par des pays voisins et des intérêts miniers étrangers,
- l’assassinat de ce chef de guerre qui s’était autoproclamé dirigeant suprême mais qui, à son tour, en était venu à déplaire à certains de ceux qui l’avaient porté au pouvoir.

Léopold Deux, les Noko, Seskoul et les autocrates qui se sont approprié le pouvoir par la suite, tous les dirigeants qui se sont succédés à la tête du Luabongo se sont, en effet, emparés de la chose publique et ont imposé une culture de la prédation, de l’autoritarisme, de la désinformation, de la répression et de l’impunité leur permettant de piller, à leur profit et à celui de leurs commanditaires, les ressources du pays et d’en exploiter les habitants sans avoir à rendre de comptes à personne… et surtout pas au peuple dont ils s'étaient appropriés la souveraineté.
Et tous ont fini par être évincés et, jusqu’à présent, par être remplacés par… un autre système sorcier, d’une nature juridique certes très différente (à l’Etat prétendument indépendant ont succédé une colonie d’exploitation, puis une première république, puis une deuxième se prétendant « populaire » et « révolutionnaire » puis une troisième se prétendant « démocratique », etc) mais également prédateur, autoritaire, fabulateur, répressif et dont les actes de brigandage en tous genres ont toujours été dénoncés par la population mais sont jusqu'à ce jour demeurés impunis.

La question qui se pose à présent est de savoir si le peuple du Luabongo supportera encore longtemps d’être « encadré », « rançonné »  et « vampirisé » par des sorciers sans légitimité populaire. Et de savoir quand il se réappropriera non seulement son territoire (son sol, son sous-sol, ses forêts, son fleuve, ses lacs et ses rivières) mais aussi et avant tout sa souveraineté, ce pouvoir d’initiative et d’auto-gouvernement dont il a constamment été dépossédé. Et de savoir comment, poussé par de nouvelles générations d’activistes citoyens, convaincus, courageux et déterminés, il viendra à bout du dernier avatar d’un système sorcier, dépourvu de toute légitimité populaire, qui l’opprime depuis si longtemps

Dans la série 10 et finale du buku "Sorciers, services et crapuleux" (cliquez sur: http://ssc-10.blogspot.be/), je décrirai le mode de fonctionnement du dernier avatar du système sorcier en répondant particulièrement... Un peu de droit sorcier, c'est indigeste mais c'est parfois nécessaire, non ?, à  différentes questions qui me sont régulièrement posées, telles que : 
- Une sorcellerie, c’est quoi ? 
- Les sorciers sont-ils bons ou mauvais ? 
- Pourquoi les sorciers sont-ils considérés par le Tout-Puissant Marché comme « une bande de péquenots rapaces et sans ambitions, de villageois âpres et ringards, de minables dealers de banlieue » ? 
- Un peuple a-t-il sa place dans une sorcellerie ? 
- Comment tout cela va-t-il bien pouvoir se terminer ?




Ndlr : Vous êtes perdu(e)s ?
Et vous vous demandez où trouver un plan de la ville, un menu de la semaine ou une table des matières quelconque… et comment avoir accès à chacune des différentes séries de séquences du buku « sorciers, services et crapuleux » ?
Problème ezali te, cliquez sur : http://sosecra.blogspot.be/